HENDRIK BOUMAN

        LA COMPOSITION EN STYLE BAROQUE ET CLASSIQUE - Entretien, Montréal, 1998

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”Pouvez-vous situer pour nous la composition dans votre carrière multi-dimensionnelle?”

“Lorsque j'étais étudiant, j'a eu le coup de foudre pour la basse continue parce que celle-ci me permettait de développer ma créativité au maximum. La basse continue est l'art baroque de l'accompagnement qui laisse à l'interprète le libre-choix de créer un soutien harmonique enrichi d'une grande variété de couleurs, de contrepoints impromptus et de textures rhythmiques. Je me suis directement inspiré du repertoire solo pour clavecin et des traités historiques sur le sujet; le language s'offrait de lui-même. Toutefois l'arbitre qui a le dernier mot, en fin de compte, c'est bien-sûr l'oreille. C'est ainsi que, presque à mon insu, je me suis approché de l'art de la composition.

En me concentrant plus exclusivement sur une carrière de chef et de soliste très gratifiante, j'ai voulu élargir le répertoire pour clavecin. Ma Anna m'encouragea à créer mes compositions dans ces styles baroque et classique.

L'improvisation est une fantaisie spontanée des doigts, qui ne se soumet pas facilement à de grandes contraintes formelles, alors que la composition est plutôt une fantaisie de l'esprit. Dans la composition j'aime structurer davantage, rendre les éléments plus concises tout en respectant le règles hiérachiques établies dans la tradition. En jouant ma musique sur un clavecin que j'ai fabriqué pour l'occasion, je deviens d'avantage 'un' avec la musique. Une proximité, une telle intimité avec l'œuvre donne bien sûr à l'expression un enchantement naturel et immédiat, sans toutefois que cette interprétation ne me limite dans mes réalisations futures.”

“Parlant cinq langues, vous avez voyagé considérablement, et vécu dans plusieurs pays. Durant toutes ces années vous avez également joué avec des musiciens de diverses cultures, comment avez-vous partagé leur héritage?”


“D'abord, le fait de vivre dans différents pays pour quelques années à la fois nous met en contact proche avec des gens qui ont forcément des mentalitées différentes de la nôtre, même radicalement différentes, et ce avec tous les probèmes et les amusants malentendus que la communication favorise. Nous partageons souvent les mêmes valeurs et aspirations mais leurs expressions particulières, les emphases, les priorités, divergent souvent

On apprend graduellement la langue, qui est beaucoup plus que le vocabulaire; on vibre en sympathie avec les soucis et les peines, on se réjouit des bonheurs et de la bonne fortune de chacun, puis on reconnaît dans leurs efforts et leur accomplissements, nos propres aspirations.

Ces expériences me marquèrent fortement et influencèrent ma perspicacité musicale. Auparavant par exemple, lorsqu'un collègue français disait "jouons-le tout simplement", l'effect créait plus de confusion que d'unité parmi mes collègues allemands parce que cette simple phrase avait une signification différente pour chacun des autres musiciens, fussent-ils allemands, italiens, français, anglais ou hollandais.

J'ai cru qu'en saisissant le sens de cette expression pour chacun des musiciens de ces diffèrents pays, je comprendrais d'avantage leur relation particulière avec la musique. Prenons par exemple Vivaldi, on peut comprendre sa musique à travers la manière qu'ont les Italiens d'être heureux ensemble; à travers leur mode verbal animé de communication et aussi à travers la polarité entre les sexes; cette dernière étant particulière pour chaque pays. l'Italia est le pays de l'Amour, l'amour y est célébré et les enfants aussi. En France, les Français possèdent une grande sensualité et un sens raffiné du détail; il y a quelque part un gourmet en chaqu'un d'eux, Bien sûr, ce ne sont là que des généralités. En Allemagne, l'accent sur l'articulation est très important; la logique persuasive, les définitions et l'analyse, la discipline rigoureuse, comme dans la musique de Bach,  où tout est défini, et rien n'est laissé à-peu-près. Muni donc de ces clés précieuses, j'ai commencé à composer dans ces styles distincts, naturellement et avec une grande joie.”

Pouvez-vous nous parler de l'instrument que vous jouez sur ce CD "Notebook for Anna I"?

“Oui, en 1995, j'ai conçu et fabriqué un clavecin italien apte à relever le défi. Après avoir tout construit; plané la table d'harmonie, l'âme pour ainsi dire; placé le chevalet qui transmet les vibrations sonores depuis les cordes jusqu'à la table d'harmonie; établi la mise sous tension des cordes à leur juste accord et effectué la pose délicat des plectres dans les sautereaux, j'ai senti l'instrument vibrer sous mes doigts, devenir vivant en unité avec mon inspiration.”

©HENDRIK BOUMAN, 1998